EDF : chronique d'un désastre inéluctable by François Soult

Auteur:François Soult [Soult, François]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Calmann-Lévy
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

III

« ON LES FORCERA À ÊTRE LIBRES »

Gustav Robert Kirchoff, physicien allemand, né en 1824, est passé à la postérité scientifique pour avoir découvert les principes qui régissent le cheminement du courant sur les réseaux électriques. Ces principes, connus depuis sous le nom de « lois de Kirchoff », font la joie des ingénieurs spécialisés en électrotechnique. Ils demeurent en revanche mystérieux pour le commun des mortels qui aurait du mal à comprendre pourquoi, par exemple, de l'électricité produite par une centrale de la vallée du Rhône pour alimenter un industriel italien peut affecter le fonctionnement du réseau électrique à la frontière entre l'Autriche et la Slovénie.

Kirchoff, s'il pouvait revenir parmi nous, serait à coup sûr émerveillé par la découverte des usages contemporains de l'électricité, mais aurait toutes les peines du monde à comprendre le concept de libre choix du fournisseur d'électricité si cher aux juristes bruxellois. En effet, les électrons ignorent obstinément les directives européennes et les relations contractuelles entre clients et fournisseurs, et continuent de circuler sur les réseaux de la manière décrite par Kirchoff.

Dans quelques années, lorsque la nouvelle directive européenne sera appliquée, un simple consommateur domestique français, lassé d'EDF, pourra décider de passer à la concurrence et acheter par exemple son électricité à son concurrent belge Electrabel. Pour autant, son domicile continuera physiquement à être alimenté par les centrales de production les plus proches. Si, à Dieu ne plaise, une coupure d'électricité venait à se produire dans son quartier, aucun électron ne viendrait d'outre-Quiévrain pour lui permettre de rester éclairé pendant que ses voisins iraient fouiller leurs fonds de placard en quête de chandelles.

De même, l'écologiste qui, grâce aux nombreuses informations que les fournisseurs en concurrence auront dû lui fournir sur l'origine de leur courant, comme le prévoit la directive européenne, aura acheté plus cher de l'électricité « verte », produite par le vent, l'eau ou le soleil, continuera dans les faits à être alimenté par la centrale nucléaire située à quelques kilomètres de chez lui.

Bref, la liberté de choix du fournisseur d'électricité pour le particulier est une fiction juridique et commerciale qui n'a aucune conséquence sur le fonctionnement physique des réseaux. En changeant de « fournisseur » un consommateur ne gagne ni ne perd rien en matière de qualité de service. En dehors d'une éventuelle baisse de prix, la seule conséquence tangible est le changement de la couleur de sa facture d'électricité. La qualité de service et la fiabilité de sa fourniture continueront de dépendre uniquement des réseaux électriques qui resteront des monopoles régulés.

Il s'agit d'une différence fondamentale par rapport aux autres secteurs récemment dérégulés (transport aérien, télécoms). La concurrence dans ces secteurs joue en effet sur les prix, mais également sur la différentiation du service offert. Ainsi, on choisit son opérateur de téléphonie mobile en fonction du prix des forfaits, mais également de la couverture de son réseau et des services annexes qu'il peut offrir.

Rien de tout cela dans l'électricité. En changeant de fournisseur, le seul bénéfice éventuel pour le client particulier est une baisse des prix.

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